État parasitaire vs expertise judiciaire

L’état parasitaire conclut à l’absence de mérule dans la maison. D’après l’expertise judiciaire, l’infestation de l’immeuble était généralisée et « visible pour un diagnostiqueur moyennement formé ». La Cour de cassation considère que le manquement du diagnostiqueur entraîne une indemnisation intégrale du préjudice des acquéreurs.

Article publié par www.quotidiag.fr

RÉALISATION D’UN ÉTAT PARASITAIRE EN BRETAGNE

Un bureau d’études est missionné pour réaliser un état parasitaire avant la vente d’une maison en Bretagne. Le rapport d’état parasitaire, daté du 16 juillet 2013, n’indique aucune trace d’activité apparente de type mérule. Le document mentionne seulement des indices de présence d’autres agents de dégradation biologique du bois.

Le diagnostiqueur prétend avoir réalisé un diagnostic complet selon la norme NF P 03-200. D’après le rapport, toutes les pièces ont été visitées et fait l’objet de sondages par poinçon. Toutefois, le professionnel précise que « le salpêtre, les moisissures, les traces ou l’activité de grosses vrillettes et de charançons et la pourriture sont révélateurs d’humidité ». Il préconise de prendre des mesures pour réduire cette humidité « afin d’éviter le développement de champignons lignivores ». L’état parasitaire est annexé à l’acte authentique le 30 septembre 2013.

DÉCOUVERTE DE MÉRULE ET EXPERTISES

Lors de la réalisation de travaux, l’acquéreuse de la maison, Mme B. découvre des attaques fongiques. Un rapport d’expertise, daté du 11 octobre 2013, confirme la présence de champignons lignivores. L’acheteuse demande la désignation d’un expert judiciaire. Ce dernier dépose son rapport au printemps 2016. Cette expertise judiciaire est accablante pour le premier diagnostiqueur.

L’immeuble est atteint de désordres biologiques qui concernent « non seulement des attaques de larves xylophages d’insectes destructeurs du bois mais également une attaque substantielle par des champignons destructeurs du bois ». La mérule est en pleine activité et en forte croissance. Elle aurait dû être repérée par « un diagnostiqueur moyennement formé » tant les désordres étaient évidents.

L’ASSUREUR ÉCHOUE À EXONÉRER SA RESPONSABILITÉ

L’assureur du diagnostiqueur s’évertue à défendre son client, mais ses arguments sont balayés par l’expert judiciaire et par le tribunal. D’une part, l’acquéreur ne pouvait ignorer la vétusté de la maison et la présence de petites vrillettes. Il l’aurait donc acquise en connaissance de cause. D’autre part, l’attaque parasitaire aurait pu se propager entre juillet et octobre 2013. Enfin, l’infestation ne pouvait être mise à jour qu’avec des travaux destructifs.

Pour le tribunal, vétusté n’est pas synonyme de désordres parasitaires. Par ailleurs, les risques liés aux petites vrillettes ne sont pas explicites dans le rapport. De plus, l’expert judiciaire précise que « la dégradation observée sur les bois a été lente mais constante, sur plusieurs années ». De toute façon, l’expertise d’octobre 2013 a été réalisée en suivant la même méthode que celle utilisée par le bureau d’étude, avec des sondages non destructifs.

À ce sujet, l’expert a relevé « l’inexistence de poinçonnement en de multiples endroits ». Lui-même dit avoir pu entrer son poinçon « comme dans du beurre ». Un simple poinçon « sans forcer et sans destruction » met en évidence des désordres parasitaires. Le diagnostiqueur n’a donc pas respecté la norme NF P03-200, ni opéré dans les règles de l’Art.

RESPONSABILITÉ DU DIAGNOSTIQUEUR POUR LA COUR DE CASSATION

La Cour de cassation se base sur les rapports pour conclure aux manquements du diagnostiqueur. Plusieurs indices majeurs d’infestations ont été ignorés. D’abord et surtout, l’opérateur n’a pas coché la case « humidité supérieure à la normale ». Or, pour exécuter sa mission dans les règles de l’Art, il aurait dû relever les taux d’humidité. Sans cette information, sa préconisation de réduire l’humidité perd sa valeur pour l’acquéreur.

Deuxièmement, la présence d’un poteau métallique au sous-sol, pour conforter une poutre porteuse très ancienne, était déjà en place à l’acquisition du bien en 1989. Cet aménagement aurait dû l’inquiéter. Troisièmement, les insectes à larves xylophages se développent sur des bois préalablement dégradés par un champignon.

Par ailleurs, il y avait 15 solives à renforcer dans la cave, mentionnées par les deux rapports d’expertise. Enfin, cette maison en pierres ourdies, qui comportent des ouvrages en bois inclus dans les maçonneries, se situe dans les Côtes d’Armor, une région très touchée par la mérule. Le diagnostiqueur aurait donc dû de montrer particulièrement vigilant.

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE SAINT-BRIEUC ET DE LA COUR

Le juge des référés de Saint-Brieuc avait obligé l’assureur du diagnostiqueur à verser à l’acheteuse :

  • 79 640 € TTC à valoir sur les travaux préparatoires
  • 8 400 € au titre du préjudice de jouissance
  • 3 000 € à titre de préjudice moral
  • 6 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

L’acquéreuse fait appel car elle réclame 22 800 € en réparation du préjudice de jouissance et 30 278,40 € pour les frais de route. La maison étant inhabitable jusqu’à la fin des travaux, Mme B. a dû être hébergée ailleurs alors qu’elle venait d’être mutée dans cette commune.

La Cour de cassation infirme le jugement du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc en ce qui concerne la somme versée au titre du préjudice de jouissance. Celle-ci s’élève désormais à 16 000 €. S’y ajoutent 4 000 € sur le fondement de l’article 700. La facture finale atteint la somme de 108 640 €.

Cour d’appel de Rennes, RG n°20/0352, 2 novembre 2022

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